Le moi s’expose

 

Si, selon ses détracteurs, la vague intime qui touche à la littérature, le cinéma, l’art contemporain et même l’art vivant n’est qu’un bouquet malodorant de fleurs fanées, déballage immonde d’égotisme mal négocié, l’intérêt qu’elle suscite et les qu’est qu’elle pose sont au cœur de la friction entre le corps social et le corps intime.

Il est onze heures du soir. J'ai un jour de retard. Didier Roth-Bettoni m'a commandé pour le nouveau magazine gay Sub, un article sur l'intime. Cette question des gays qui en littérature comme ailleurs exposent leur moi comme autant de sujets. Ils ne sont pas seuls à le faire mais le feraient plus que les autres... Je devais l'écrire ce week-end. J’ai dit que j'avais une gastro. Trois semaines avec ce sujet. Au début, tout feu tout flamme et puis, le temps passant, l'impression que tout a déjà été écrit, que tout est déjà exprimé. Qu'est-ce qu'il y a encore à dire? Vendredi encore, Le Monde a sorti deux pages sur l'intime, merde. Angot, Dustan, Morgiévre. Les classiques. Alors j'interviewe Jean-Gabriel Périot. Demain matin à l'aube en un mail, il faut que je déballe mes treize mille signes. Intime : « let. Inlimus. Superl. De interior « intérieur ». 1 . Qui est contenu au plus profond d'un être. 2 Qui lie étroitement par ce qu'il y a de plus profond. 3. Qui est tout à fait privé et généralement tenu caché aux autres. » Petit Robert.

J'aime Gabriel Matzneff, Renaud Camus, Michel Leiris, André Gide et Stendhal. Voilà pour la littérature du Je selon l'expression consacrée de Philippe Lejeune. J'aime Angot. Entendre Angot lire ses textes est une jouissance. Je n'aime pas Dustan. J'aime le discours de Dustan, mais je n'aime pas ses livres Je préfère le Voyage autour de ma chambre de Xavier de Maistre. J'ai vomi à lecture de Viande  de Claire Legendre. Je suis entré en intime par la littérature. Je n'ai pas voulu voir La pudeur ou l'impudeur de Guibert. J'étais adolescent, j'avais peur. J'ai vu Omelette de Rémi Lange. Son journal filmé narratif grand public. J'ai été troublé. J'ai vu dans la salle d'art et d'essai de Tours le film de Vincent Dieutre Leçons de ténèbres. Il était là. Le débat était long. J'ai été saisi. J'ai rencontré Jean-Gabriel Periot au festival Mettre en scène de Rennes lors d’une impromptue de Boris Charmatz. J'ai vu son installation Affaire classée. J'ai compris à travers ses classeurs gris, ses pochettes plastiques et ses factures de téléphones la notion de corps social. Il m'a demandé d'animer un débat autour de l'intime. Il y avait Fabrice Neaud, Rémi Lange et lui. Le discours a été monopolisé par un artiste local frustré en mal de déver­sement. La limite de l'intime. On sacrifie l'intime sur l'autel de la mode et de la médiatisation. Né de la friction à vif du corps social et du corps intime ce « nouveau » courant artistique se brûle les ailes au soleil qu'il veut éteindre, la norme, la négation du je. L'intime est une poésie, certains l'écrivent.

 

Reality show
Conversation avec Jean-Gabriel Périot. Plasticien.

 

Un artiste, par définition, est quelqu'un qui va chercher au fond de soi ?

Oui mais il y a un côté plus direct et évident quand on se retrouve devant un livre d'autofiction ou une œuvre qui utilise l'intime. On est directement avec l'intime de l'artiste sans filtre. L'intime a un côté voyeur-exhibitionniste mais on ne peut jamais être sûr de la véracité, c'est l'apparence de l'intime qui est important.

 

Certains artistes sont accusés de provocation...

Que l'on fasse de l'art politique ou de l'art engagé, certains le font de manière subtile et très douce, d'autres le font de manière hurlante. Il y a un aspect étalage, reality-show qui peut-être est choquant, surtout quand c'est sexuel comme chez Angot ou Dustan. C'est le même traitement que les films qui combattent la violence en étant encore plus violents. Dans la mesure où le spectateur n'est pas obligé de rester jusqu'au bout, le réalisateur montre l'horreur jusqu'au bout. L'artiste est ambigu mais le spectateur l'est encore plus parce qu’il reste jusqu'a u bout.

 

De quelle nature est ton travail ?

J'ai commencé par des pièces abstraites. Des vidéos. Puis j'ai fait des installations. Dans ma première installation, je parlais du travail,  recherche d'emploi, obligation, dureté d'avoir un travail, usinage et répétition. Et d'un autre côté le chômage, l'abaissement. Il y avait toutes les lettres de refus des employeurs que j'avais contactés. C'est une partie importante de ma vie intime. Le corps intime et le corps social sont en friction. Je travaille sur l'impact des paramètres sociaux sur l'individu. Le travail par exemple me construit moi individuellement, donc mon intimité. J'envisage l'individu dans sa globalité sociale et intime.

 

L'homosexualité ?

L'homosexualité est un combat à mener parce que tout n'est pas réglé, de la reconnaissance sociale au faux-semblant du PACS, c'est une tolérance sociale mais pas une acceptation totale des homosexuels. Quand on regarde le combat des femmes, trente ans après, elles en sont encore moins payées et moins représentées que les hommes. Je revendique mon homosexualité dans mes travaux parce que l'on est obligé d'avoir un positionnement face à la normalité. A priori, il y a très peu d'hétéros hommes qui travaillent sur l'intime. Ils ont énormément de choses à dire mais rarement sur leur positionnement par rapport à la normalité.

 

Comment te positionnes-tu ?

Quand on a entre 25 et 35 ans, comment s'inscrit-on dans le monde actuel par rapport à nos parents et aux moins de 25 ans ? Nous sommes une génération de transition qui se tape la fin des grands systèmes idéologiques. On ne sait pas se situer politiquement, on n'a pas plus de grandes utopies auxquelles se rattacher. Nous avons un côté cynique, on a vécu le chômage, le sida, le début de la pollution. Nous sommes entre l'idéalisme de nos parents et la cybergénération, née avec une sourie, qui va vivre dans un monde de science-fiction pour nous. En ce moment, notre génération prend le pouvoir, elle accède à des postes importants mais personne ne sait qu'en faire. Ce n'est pas étonnant que l'on questionne la relation à l'autre, sexuellement, politiquement, socialement...

 

Les limites de l'intime ?

L'intime pour l'intime ça n'a aucun intérêt. Je trouve inutile de faire de la délation au nom de la véracité de son sujet. C'est ramener le propos à la petite personne de son auteur, avoir la prétention de devenir un personnage public, on tombe dans le syndrome Levinsky, un journalisme indigent qui n'intéresse personne. C'est la nature, l'influence de la relation entre un garçon ou une fille avec l'auteur qui est importante : savoir son vrai nom met toute la démarche artistique en l'air et l'art bascule dans le people. Ça n'apporte aucun élément dramatique.

 

Par Hervé Pons
Sub Magazine 2001